Les Forces Auxiliaires Afghanes

29.04.12 || William Olliso et Lucie Vorilhon

L’offensive anglo-américaine de 2001 en Afghanistan s’inscrit dans un conflit global contre le terrorisme islamique. L’opération baptisée « Liberté immuable » (Opération Enduring Freedom) a ciblé des adversaires précis, son objectif étant la destruction d’Al-Qaïda ainsi que la chute du pouvoir Taliban. Cette période d’affrontement directe s’achève par une victoire rapide de la coalition et laisse place à une longue phase d’ascension vers l’instabilité de l’Etat afghan, jusqu’à aboutir à son paroxysme en 2006. Les Américains, accaparé par la guerre en Irak, ainsi que leurs alliés vont devoir réorienter leurs actions et opter pour des opérations de reconstruction et de stabilisation de l’Etat.

Dans de nombreuses provinces du pays1, le pouvoir du gouvernement a été contesté par les forces Talibanes qui sont parvenus à prendre le contrôle de certains districts. En raison de la faiblesse du gouvernement et de la reprise de la rébellion, les plans de développement et de reconstruction du pays ont absorbé du temps et des ressources et cela a provoqué la désillusion de nombreux Afghans ce qui aurait encouragé l’enrôlement au sein des groupes armés d’opposition et alimenté le soutien apporté à ces groupes.

Les combats entre les forces internationales et les rebelles sont très violents. Leurs mains mises sur le trafic de drogue et le soutien d’une partie de la population leur permettent de garder le contrôle de nombreuses zones rurales. 2007 marque l’apogée de l’insurrection puisqu’ils se rapprochent de Kaboul. Ces insurrections ne facilitent pas la mise en œuvre du plan d’action pour la reconstruction de 2006 (Afghanistan Compact)2.

L’élection de Barack Obama à la présidentielle de 2008 marque un changement de direction des opérations menées en Afghanistan. Il va doubler les effectifs sur le terrain et privilégier une action indirecte reposant sur l’appui aux forces de sécurité et l’aide au développement.

Face aux rebellions, le gouvernement afghan et ses partenaires internationaux sont dans l’obligation de travailler avec des groupes armées informels au niveau local pour maintenir la sécurité, particulièrement dans les régions ou les talibans gagnent du terrain.

La première initiative : la Police Nationale Auxiliaire (PNA), est lancée en 2006 par le ministère de l’intérieure et avec le soutien des forces internationales. Son but est de former une police communautaire en parallèle de la police nationale régulière pour participer aux opérations de contre-insurrection. Elle peut s’apparenter à une force paramilitaire puisqu’elle n’est pas chargée de veiller sur la sécurité civile en assurant l’application de la loi et le maintien de l’ordre. La PNA participe plutôt à des opérations de combat contre les forces insurrectionnelles.

Le recrutement des policiers se fait de façon volontaire et n’es pas soumis à des exigences spécifiques. Une fois engagé, il suit un entrainement avant d’être armé et envoyé dans des provinces à fortes tensions, pour la plus part au Sud, Sud-Est. Quantité de problèmes vont émerger de ces méthodes de recrutement, qu’il s’agisse de la loyauté des troupes ou de la qualité de leur formation.

La PNA sera dès lors démantelée jugée comme étant un échec.

Peu de temps après, le ministère de l’intérieure s’accorde à travailler uniquement avec l’armée américaine pour élaborer le Programme de Protection Publique Afghane (AP3). L’objectif de ce programme est de promouvoir la stabilité et d’accélérer le développement de l’Etat à travers la mise en place d’une sécurité communautaire dans la région de Wardak. Les enjeux sur le recrutement invoqués durant la mise en œuvre de la PNA se retrouvent dans l’AP3. On retrouve en outre d’autres problématiques au cœur du programme qui font que le succès rencontré n’est pas celui espéré. Cependant, le gouvernement afghan ne va pas en rester là et lance le Programme des Forces de Protection Publique Afghanes (FPPA) en 2010. Dans la continuité d’AP3, les FPPA ne se limitent pas à la seule région du Wardak, elles s’étendent sur tout le territoire afghan. Sa mission est de renforcer le pouvoir des forces armées et de protéger le peuple Afghan au niveau local à travers les mécanismes de défense traditionnels3.

Le plus expérimental des programmes est Initiatives de Défense Locale (IDL) crée en 2009. Ce dernier est toujours opérationnel et est redistribué dans différentes parties du pays, des régions les plus dangereuses vers d’autres zones dites plus calmes. Il a pour objectif d’assurer la sécurité des communautés ethniques en donnant à chaque communauté des responsabilités et des emplois. Il permet d’apporter un soutient financier et logistique à des groupes armés auxiliaires agissant uniquement au niveau local. Le problème et qu’ils sont parfois si nombreux qu’il est difficile pour l’Etat afghan de les connecter entre eux. Il existe de nombreuses autres initiatives de forces auxiliaires, mais notre objectif n’est pas de toutes les recenser, mais plutôt de déceler les différents enjeux qu’elles supposent.

Ces méthodes de stabilisation du gouvernement afghan sont employées pour pallier aux lacunes de la Force de Sécurité Nationale, incapables d’agir face aux insurrections. Les forces auxiliaires correspondent parfaitement avec la stratégie de contre insurrection déployée par les Etats Unis4. Néanmoins, la présence de ces groupes soulève de nombreux enjeux de stabilisation de l’Etat, non seulement au niveau du recrutement des agents, mais aussi au niveau de leur formation, de leurs rapports avec les forces régulières, du problème de la corruption ou encore de leur pérennisation après le retrait des troupes étrangères.

Un recrutement des agents en incohérence avec l’enjeu de stabilisation de l’Etat afghan

La PNA déclare fin 2006 avoir recruté un total de 11 271 agents afghans. La force a pour mission de promouvoir une police régionale assurant « le contrôle par le gouvernement du territoire » et de prendre part conjointement aux opérations avec l’Armée et la police nationale afghane et le Direction Nationale de la Sécurité. En théorie, les agents doivent être sélectionnés localement et à la condition de fournir deux recommandations de la communauté, des informations sur leur casier judiciaire ainsi que sur leurs origines familiales, ethniques et tribales. En pratique, il n’en est point. En l’absence d’investigations poussées sur les candidats, on compte parmi la PNA nombre de criminels et d’infiltrés djihadiste. La confiance de la population envers ces agents peines à s’installer et le dialogue s’avère plus complexe.

Les recrues reçoivent ensuite une formation de 80 heures par une compagnie de sécurité américaine sur les droits de l’homme, la Constitution et la loi afghanes. L’accent est mis sur un entrainement armé et la manipulation de véhicules de guerre.

De cette formation découle des lacunes évidentes : des agents mal formés, une augmentation du nombre de victimes lors d’affrontements, une communication entre la population et les forces auxiliaires restreint. En résumé leur capacité d’action est réduite.

Un rapport conflictuel entre les forces nationales régulières et les forces nationales auxiliaires

La PNA a été créée pour pallier à l’inefficacité des forces régulières, ces dernières étant jugée trop lentes et incapables de contrer les insurrections. Dès leur genèse, les forces auxiliaires se sont construites en concurrence avec les forces régulières ; leurs rapports ne pouvaient donc qu’être entachés. Pourtant, les dissocier n’est pas toujours chose aisé leurs uniformes sont similaires et leurs centres de formation les mêmes. En outre, en théorie et dans une certaine mesure dans la pratique, la PNA a été rattachée aux forces de police régulières en tant qu’unité distincte au niveau centrale et au niveau locale. Le chef de police nationale locale supervise la PNA et est responsable des recrutements ainsi que de l’équipement. Le Ministère de l’intérieure précisera que les forces régulières doivent apporter a la PNA un soutien d’ordre logistique et non les commander. De ce fait, l’ambiguïté entre les deux forces est totale. De nombreux agents s’engagent à la fois dans les forces régulières ainsi que dans les forces auxiliaires. La concurrence concernant le recrutement des agents atteint son paroxysme lorsque l’on constate un déséquilibre des effectifs, la balance penchant nettement du côté des forces auxiliaires.

D’autre part, la PNA étant formée pour s’apparenter à une force paramilitaire, toutes les tâches administratives sont confiées à la police nationale, ce qui a pour effet d’accroitre le sentiment de disparité. L’action n’est donc pas menée de concert comme elle le devrait, mais elle est basée sur un rapport concurrentiel et donc beaucoup moins efficace. Le rapport de force qui s’est installé entre les deux rajoute à la complexité au maintien de l’ordre.

Le trafic d’opium et la corruption

La filière opium y a pris, à l’aune de l’économie nationale, une importance qu’aucune autre drogue n’a dans aucun autre pays. D’autre part, elle entretient des relations complexes, tout à la fois cause et conséquence, avec la reconstruction de l’État, la stabilisation politique du pays et la restauration de la sécurité.

L’Afghanistan est un pays économiquement sous-développé et l’ingérence dont elle fait l’objet ne permet pas aux stratégies de lutte contre la corruption liée au trafic d’opium d’aboutir. Depuis l’intervention américaine, la culture du pavot, la production d’opium et sa transformation en héroïne ne cessent d’augmenter dans des laboratoires en Afghanistan. Ces phénomènes ont explosé en 20045. Les américains n’ont pas fait de la lutte contre la production de l’opium et de l’héroïne, consommée à 95 % en Europe, une priorité. Pourtant, elle a permit de généralisée la corruption au cœur des forces nationales régulières qu’auxiliaires.

Le principal facteur de développement de la corruption repose une fois de plus sur les lacunes que représente la formation des agents. Celle-ci ne durant que 80 heures, l’accent est mis sur l’acquisition des habiletés de combat plutôt que sur les enseignements liés au respect des normes de transparence et des droits humains, ce qui renforce une culture de la corruption au sein de la PNA.

Ce sont en outre les déficits au niveau des mécanismes de surveillance et d’imputabilité des effectifs qui contribuent à étendre ce phénomène. Et la réalité du faible salaire des membres de la PNA renforce aussi la corruption, rendant nécessaire l’acceptation des pots-de-vin afin d’obtenir un revenu suffisant pour faire vivre sa famille6.

Le recrutement est censé se faire au niveau local, et même si cette condition n’est pas entièrement respectée, il en reste que pour les membres rattachés à leur communauté d’origine, un vrai problème de neutralité se pose.

L’après 2014 ?

2014 est la date de départ des troupes étrangères, mais aussi celle du démantèlement du dernier programme des forces auxiliaires : Initiatives de Défense Local (IDL). Ce dernier avait pour but de protéger les bâtiments appartenant au gouvernement, protéger les ONG et entreprises privées et enfin protéger les ambassades et les organisations internationales. Son approche est différente des précédentes, elle s’inscrit dans une logique de départ et non plus dans une stratégie de contre-insurrection et de protection de la population.

Les hypothèses pour l’après 2014 sont nombreuses. Les forces auxiliaires, au même titre que les sociétés militaires privées pourraient passer du domaine public – pour la plus part – au domaine privé. Cela permettrait de soulager financièrement et logistiquement l’Etat afghan et lui permettre par la même occasion d’améliorer ses forces régulières.

Une reconvertion complète des agents vers des domaines non militaire pourrait être envisagé. En effet, dans le cadre du Programmes de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) de 2003 à 2006, l’accent fut mis sur la reconvertion d’anciens combattants pour former une armée nouvelle, mais aussi pour réhabiliter les populations.

L’hypothèse la plus probable cependant s’inscrit dans la continuité des stratégies de départ.

Les rapports entre les forces auxiliaires et l’Armée et la Police nationale s’avèrent conflictuels. Pourtant, ces groupes doivent apporter un soutient aux forces régulières. Ils s’inscrivent dans une logique temporaire, en attendant que la Police et l’Armée nationale soient formées. Tout membre des FPPA ayant prouvé qu’il était digne de confiance peut être transférer au sein des forces régulières afghanes. C’est seulement une fois que le nombre suffisant de personnes formées sera atteint que les FPPA pourront être dissoutes.

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1 Les régions insurrectionnelles étant principalement : Helmand, Kandahar, Zabul, Uruzgan, Laghman et Kunar, situées au Sud Sud-Est de l’Afghanistan.

 

2 Le plan est censé inclure tous les partenaires afghans dans le processus de reconstruction du pays et mesurer les progrès obtenus dans des domaines aussi divers que la consolidation des institutions et l’offre de services publics au niveau local, la réforme du secteur de la sécurité au niveau national, l’adoption d’une législation sur la gestion des entreprises et la réduction du nombre de personnes qui souffrent de la faim.

 

3 Assurer une bonne entente entre les populations locales, surveiller et protéger les institutions nationales, assurer le transport des marchandises, des ressources et des individus, etc.

 

4 Les Américains n’expriment pas explicitement cette stratégies, ils restent réticents à se lancer dans une guerre de contre insurrection, ayant en mémoire l’échec du Vietnam et préfèrent l’appellation lutte contre les forces non étatiques.

 

5 Selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Afghanistan a produit en 2004 plus de 4 200 tonnes d’opium, soit 87 % de la production mondiale.

 

6 Malgré une importante croissance du salaire mensuel depuis les débuts de la construction de la PNA cette hausse demeure insuffisante pour enrayer la culture de corruption au sein de ces forces auxiliaires, au même titre qu’au sein de la police nationale.

 

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